Septembre 2024
Eric Campbell

L’effet domino du capital philanthropique

En 2009, un jeune Néerlandais de 21 ans a battu un record du monde. Il a réussi à faire tomber le plus grand domino de tous les temps, 6,4 mètres de haut et 1,2 mètre d’épaisseur. Ce qui était le plus extraordinaire dans cet exercice, que vous pouvez regarder sur la télévision néerlandaise, n’est pas le renversement du domino géant. Pas du tout. Ce qui est le plus extraordinaire, c’est la chaîne de 19 dominos, qui a commencé avec un humble domino de taille typique de seulement 2 pouces de long et 1 pouce d’épaisseur.

Voilà la magie de l’effet domino : non seulement sa capacité à déclencher une chaîne de réactions, mais aussi sa capacité à déclencher une chaîne de résultats surdimensionnés.

La philanthropie climatique peut avoir le même effet.

L’une des façons fondamentales d’observer et de mesurer cet effet est le déblocage du capital. Comme le domino de petite taille, un capital philanthropique bien ciblé et lancé au bon moment peut débloquer des sommes beaucoup plus importantes de capitaux publics et privés. 

Entre-temps, le capital est très important pour la transition du Canada vers une économie prospère à émissions nettes nulles.

En 2021, RBC a calculé que la transition du Canada vers une économie à zéro net émissions nécessitera ultimement 2 billions de dollars en capital, soit environ 70 milliards de dollars en moyenne par année.

La majeure partie de ces investissements doit bien sûr être effectuée par le secteur privé. Pensez à l’industrie de l’acier qui remplace les fourneaux électriques à arc; aux entreprises qui remplacent leurs véhicules à gaz par des véhicules électriques; et aux propriétaires qui achètent des fenêtres écoénergétiques.

L’investissement public représentera également une part importante du total, en fournissant des incitations qui réduisent les risques et atténuent les investissements privés. 

Mais en plus de ces deux sources bien connues de capitaux pour la transition nette zéro, il y a un rôle catalytique et surdimensionné à jouer par la philanthropie. Une philanthropie du climat bien ciblée peut être le domino le plus important au début de la chaîne, déclenchant une vague d’investissements inarrêtable qui mènera le Canada à la carboneutralité.

Certains projets financés par des organismes philanthropiques démontrent clairement cet effet.

Prenons l’exemple de l’Alliance Accélérer. Cette initiative à but non lucratif dont la mission est de faire progresser une industrie et une chaîne d’approvisionnement compétitive de véhicules électriques au Canada a été créée en 2021 avec environ 1 million de dollars en capital philanthropique. Ce capital s’est rapidement multiplié. Le plaidoyer influent de l’Alliance a contribué à déclencher une chaîne de domino d’investissements entre 2020 et 2024 qui a produit jusqu’à 52 milliards de dollars en incitatifs gouvernementaux et 46,1 milliards de dollars en engagements de la part de sociétés comme Honda, Stellantis, LG, Volkswagen et Ford pour les prochaines générations de production de véhicules et les chaînes d’approvisionnement en amont. Naturellement, Accelérer n’était pas la seule force en jeu ici et ne peut pas s’attribuer tout le mérite de ce déblocage d’investissements massifs publics et privés. L’allance a toutefois joué un rôle important, car elle a été soigneusement conçue pour combler une lacune notable dans l’écosystème de plaidoyer politique et atteindre exactement cet objectif.

Considérons également le cas de la ligue des communautés canadiennes sobres en carbone (LC3). Cette initiative a été lancée en 2019 dans le but d’équiper six villes du Canada de centres indépendants de programmation et d’investissement climatiques. Le modèle était le Atmospheric Fund (TAF), dans la région du Grand Toronto et de Hamilton, qui était capable de lancer des projets de transformation climatique au niveau communautaire avec l’aide d’un fonds public depuis 1991. La philanthropie a été essentielle pour démontrer que d’autres villes devraient avoir les mêmes possibilités. Une modeste subvention de 800 000 $ pour des travaux d’établissement de la portée et le développement de partenariats a rapidement formé la base de ce qui est devenu un investissement gouvernemental de 183 millions de dollars pour établir des centres LC3 à Halifax, Montréal, Ottawa, Edmonton et Calgary, ainsi qu’à Vancouver. Et maintenant la chaîne de dominos se poursuit, avec ce capital gouvernemental stratégiquement alloué par les différents centres LC3 aux projets climatiques qui grouillent dans le secteur privé. Depuis 2021, un financement de 13,5 millions de dollars dans le cadre du LC3 – pour des projets comme l’électrification des autobus scolaires et la rénovation d’immeubles d’habitation – a entraîné 50 millions de dollars en investissements supplémentaires. Pas mal de retour sur investissement pour un premier don philanthropique de 800 000 $.

L’organisation Fermiers pour la transition climatique a obtenu un rendement tout aussi impressionnant. Ce groupe sans but lucratif a transformé 350 000 $ en revenus annuels de subventions en une coalition d’intervenants stratégiques qui a joué un rôle important pour obtenir le financement de 700 millions de dollars de la part du gouvernement fédéral du Fonds d’action à la ferme, en 2021. Ce capital gouvernemental incite les agriculteurs à investir dans des pratiques agricoles vertes partout au Canada.

Entre-temps, les travaux de recherche et d’élaboration de politiques menés par Efficacité Énergétique Canada, qui ont été soutenus par des subventions philanthropiques depuis le lancement de l’organisme en 2018, sont souvent reconnus pour avoir permis entre autres, à plus de 750 millions de dollars en programmes gouvernementaux qui aident les ménages dans les régions rurales à passer du chauffage au fioul aux pompes à chaleur électriques.

Un dernier exemple à noter ici est l’Accélérateur de transition. En 2021, l’organisme de bienfaisance enregistré a utilisé des subventions philanthropiques pour lancer le Centre régional d’hydrogène d’Edmonton, une initiative ambitieuse visant à construire un nouveau système énergétique à l’échelle régionale basé sur l’hydrogène zéro émission. Cette initiative a depuis mené à 25 projets en partenariat avec le gouvernement, l’industrie, les entreprises, les Premières nations et d’autres partenaires de mise en œuvre. Un autre projet phare est le projet pilote des premiers autobus électriques au Canada à pile à combustible à hydrogène, qui a jusqu’a présent permis d’obtenir 10 millions de dollars en fonds gouvernementaux provinciaux, municipaux et fédéral et stimule divers investissements du secteur privé.

L’impact de la philanthropie climatique peut être mesuré de plusieurs façons. Un facteur qui ne devrait pas passer inaperçu est son effet domino potentiellement démesuré sur les capitaux publics et privés. Comme il faudra d’énormes capitaux pour alimenter la transition nette zéro du Canada, c’est un impact auquel nous devrions accorder une attention particulière.

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